Nous lisons dans le dictionnaire de Célestin PORT, à l’article Milly, les lignes suivantes :

« la cure occupe l’extrémité d’un long bâtiment aux fenêtres ornementées dont une porte la date de 1539. C’est, dit-on, la salle des gardes. A l’autre bout, vers l’ouest, dans une tourelle basse, tourne un élégant escalier de pierre. Entre deux, au centre du logis, découpé en trois ménages, apparaissent encore sur le mur de l’étable d’anciennes esquisses au trait d’un très beau style italien, projet de fresques inachevées où l’on n’entrevoit plus qu’à peine un roi sur son trône assistant à des luttes guerrières. Il serait temps de les reproduite avant leur complète ruine ».

Que reste-t-il de ces architectures et de ces esquisses ? Essayons de le dire avec le souci de mettre en évidence un ouvrage d’art qui achève de mourir et des souvenirs qui n’ont pas été sans gloire.

Le bâtiment aux fenêtres ornementées existe encore et n’a guère changé depuis la visite de Célestin PORT ; les peintures n’ont jamais été reproduites et c’est à grand peine, que Mr LIVACHE, le directeur de notre école des Beaux-arts, a pu en dégager les éléments du dessin, que nous donnons aujourd’hui pour répondre, tardivement, aux vœux du savant archiviste.

Milly ! Située sur l’ancienne voie romaine de Gennes à Doué, il se présente, blotti dans la verdure, enfermé dans la forêt au creux d’un petit vallon, dominé par quelques tours en ruines et protégé par une église étroite, curieuse, enchevêtrée dans des restes de remparts que de beaux arbres couvrent d’ombre.

Ancienne villa gallo-romaine, Milly serait sans doute restée pour l’éternité ignorée qu’elle était au Moyen-Age, à l’écart des routes ; terre jalouse, riche en gibier, qui nourrit une race d’hommes que rien ni personne n’a pu détourner de la chasse depuis les temps millénaires.

Mais ce petit fief, entré au XVe siècle dans la famille de Maillé, a vu passer la faveur et la disgrâce du Maréchal de Maillé-Brézé ; il a abrité la misanthropie du vieux guerrier après la mort de son fils et la vie quasi féodale qu’il y menait en plein XVIIe siècle. L’ombre du grand Maréchal est encore sur Milly et un peu celle du prince de Condé son gendre qui y a signé quelques lettres.

L’ancien château est dans un tel état de ruine qu’il est impossible aujourd’hui de se faire la moindre idée de son importance et de sa disposition ancienne. Le bâtiment qui nous occupe est à l’est de ce château, près de l’église ; il est aujourd’hui à usage de ferme.

Orienté dans la direction ouest-est, il mesure 22 mètres de long, 4,50 mètres de largeur dans œuvre et 4 m 15 de hauteur sous poutres. Il est construit en pierre blanche et il est recouvert d’un toit d’ardoises très élevé, supporté par une très belle charpente en berceau. Au nord, du côté de la route du parc aux Roches, il n’est percé d’aucune ouverture. Au sud, il présente trois fenêtres, aveuglées, mais très apparentes encore. Si l’on examine l’intérieur du bâtiment, on découvre quatre autres fenêtres qui ne se manifestent plus au dehors.

Nous voici donc devant un long rectangle fermé au nord et ouvert autrefois de sept grandes fenêtres au midi.
On y accède à l’intérieur de cette salle par une porte mutilée, mais dont le fronton témoigne encore de sa beauté. Une coquille au profil sobre, d’une grande pureté et d’une rare élégance est surmontée d’un arceau mouluré sur lequel courent des rinceaux de feuillages. De chaque côté de ce fronton et à sa base, deux vases ornementés complètent l’ensemble.

Pénétrons à l’intérieur de la salle. Aujourd’hui, elle est coupée par un plancher ; le rez-de-chaussée sert d’étable et le premier étage de grenier à foin. Faisons abstraction de ce plancher. Nous voici dans cette grande salle mesurant intérieurement environ 22 mètres de longueur, 4 m 50 de largeur et 4 m de hauteur.

A gauche, nous trouvons l’élégant escalier de pierre logé dans la tourelle, qui menait à un corps de logis disparu aujourd’hui. A droite, une porte conduisait aux appartements du receveur, la cure actuelle. Dans le mur du fond à droite, une cheminée monumentale assez fruste, sans grand intérêt. Enfin, sur ce même mur, à gauche et à environ 2 m 50 du sol, on aperçoit une esquisse au trait, celle-là même dont Célestin PORT nous a recommandé l’étude. Ce mur tout entier, volontairement sans ouverture, semble avoir été destiné à recevoir des fresques, car une frise de feuillages et de fruits apparaît çà et là qui compartimente les panneaux projetés.

Telles qu’on l’aperçoit ou qu’on la devine, cette esquisse mesure 2 m 80 de longueur et 1 m 60 de hauteur.

 

Le décor est romain : un portique, une statue de déesse, un temple, dans le lointain le Colisée et de larges degrés qui descendent vers le spectateur. A gauche, sur un trône accosté de colonnes, Jupiter préside la scène qui se déroule à ses pieds et lance son aigle symbolique.

Ce tableau de luttes guerrières est-il possible encore d’en préciser davantage le sujet ? Peut-être en peut-on trouver l’inspiration.

Nous sommes ici chez un chef de guerre ; ces projets de décoration sont à coup sûr du milieu du XVIIe siècle, de l’heure où le Maréchal régnait à Milly et l’artiste cherche à flatter le goût des armes qui persistait ici dans la retraite. En suivant la tradition classique qui dominait alors, nous avons été amenés à relire le fameux cinquième livre de l’Enéide, l’épisode des Jeux, la lutte de Darès et d’Entelle (vers 362 à 603).

Le pieux Enée assis sur un trône, la tête ornée du diadème, montre du doigt aux vieillards qui se tiennent debout derrière lui, les deux lutteurs. Tous ces personnages suivent avec passion les péripéties du combat.
Au-dessous de ce groupe, on entrevoit la tête du taureau qui doit être le prix offert au vainqueur (vers 366). Nul doute que dans le bas de la fresque, invisible aujourd’hui, se trouvaient l’épée et le casque magnifique destinés à consoler le vaincu (vers 367).

Au centre, sur les derniers degrés, Darès et Entelle luttent corps à corps.

Un peu plus bas, des gladiateurs apparaissent.

Enfin, à droite, le groupe de guerriers adolescents qui s’avance n’est-il pas celui des jeunes Troyens conduit par Ascagne, dont les évolutions vont clôturer la fête ?(vers 545)

Evidemment, le texte de Virgile n’est pas interprété à la lettre. C’est plutôt une adaptation libre et fantaisiste dans le goût du temps.

Ce projet de fresque n’est pas de main de maître mais plutôt de ces ateliers angevins qui décoraient les châteaux du XVIIe siècle avec des poncifs ou avec des allégories fournies à leur imagination.

Cette très grande salle au plafond de bois soutenu par des solives peintes servait, dit-on, de salle de gardes. Michel RIGAULT, intendant, procureur, avocat fiscal et receveur général des terres de très haute, très puissante, très excellente princesse Marie-Anne de Bourbon Condé, dont son procès-verbal de la propriété de Milly, daté de 1728, appelle cette salle « les galleries de Milly ».

Ce promenoir ensoleillé, orné sans doute ou destiné à être orné de tableaux et de statues, était-il une salle de réception, de spectacle que suppose le train nombreux et singulier que l’on menait ici à certaines heures ? Rien n’empêche de le supposer.

A l’extrémité est des galeries était l’appartement du receveur. Cet appartement, qui sert aujourd’hui de cure, était sans doute autrefois en relation directe avec les galeries, puisqu’une porte, dont on distingue encore les traces, faisait communiquer les deux salles. Cependant, à la mort du Maréchal de Maillé, il était déjà la demeure du Receveur général, comme en témoigne le procès-verbal d’apposés de scellés fait après le décès du maréchal et inventaire des meubles, en date du 13 février 1650.

Quoi qu’il en soit de sa destination primitive, il garde encore la grâce d’une belle fenêtre qui en éclaire la pièce principale. Cette fenêtre, datée de 1539, semble avoir été remaniée. Primitivement, elle devait s’ouvrir d’une seule baie, sans colonne médiane, et un peu moins haute qu’actuellement ; la forme incurvée de la pierre sur laquelle est sculptée le mascaron et les gorges ornementales de la fenêtre semble le dire. Plus tard, on a allongé la fenêtre par le bas et élevé, en son milieu, une colonne pour consolider le mascaron qui menaçait ruine.

 

 

A quelle époque « les galleries de Milly » ont-elles été construites et pourquoi la décoration en est-elle restée inachevée ? Nous sommes réduits, là-dessus, à des hypothèses. En voici une. En 1533, le manoir « avec chastel clos avec foussez et à douves et pont-levis justice à trois piliers au Vaudavy », appartenait à Guy de Maillé et Anne de Louan. Ces seigneurs ont laissé à Milly des traces évidentes de leur activité. On leur doit notamment le caveau seigneurial qui s’étend sous le chœur de l’église. La fenêtre de l’ancien bâtiment du Receveur, datée de 1539, peut être de leur œuvre, les galeries ont pu être commencées par eux et transformées au commencement du XVIIe siècle par le Maréchal de Maillé lui-même. La mort du Maréchal, 1650, aurait arrêté les travaux avant leur achèvement.
Simple hypothèse, répétons-le, qui s’appuie sur des apparences précaires sans qu’aucun texte permette de la confirmer ou de l’infirmer.

Beau prétexte à rêverie que ces vestiges de la Renaissance et du Grand Siècle au fond des bois de Milly, où ne sonnent plus les trompes du grand Maréchal, où la chasse n’est plus que d’un pauvre lièvre tiré au carrefour, d’un faisan étourdi dans les branches et de ces bartavelles casquées de rouge et d’azur que les « perdrioux » de Maillé quêtaient pour la table sur les bruyères de Milly.